Les fous de Bassan / Anne Hébert. Points, 1998. 249 pages. 3,5*
Le vent, la pluie, la rumeur de la mer et la pesanteur du passé font de Griffin Creek, petit village du Québec, un lieu étrange et presque hors du monde.
Un soir de l'été 1936, deux adolescentes vives et lumineuses, enviées ou désirées pour leur beauté par toute la petite communauté protestante du village, disparaissent près du rivage. A travers la voix ou les lettres de différents personnages, on assiste à la tragédie qui commence à se jouer, bouleversant ce village figé dans la tradition et le respect des Commandements.
Récits croisés entre 1982 qui ouvre et ferme le roman et l'année 1936, date à laquelle se déroulèrent les événements qui sont au coeur de ce roman.
Quatre des personnages nous donnent des impressions à vifs ou nous relatent les faits et c'est au travers de leur vision ou perception que nous sont rendus les tensions et vie quotidienne de cette communauté / famille dont la disparition de deux adolescentes semblent avoir sonnée le glas.
Le premier récit m'a laissé comme totalement en suspens, c'est celui du Révérend Nicolas Jones, oncle des jeunes filles disparues, visage de l'ordre et de la morale, mais qui sous ce vernis de rigidité et de respect semble avoir eu des vues sur au moins une des disparues. Ces relations avec ces nièces laissent une part d'ambiguité permanente et de malaise qui le met sur la liste des suspects.
Mais son récit est décousu car il porte avant tout sur son quotidien de 1982 et l'abandon de la communauté désormais composé de vieilles personnes, ou n'ayant pas forcément toute leur tête. Mais comment conserver tout son esprit dans ce lieu perdu, bercé par les vents dont la misère semble augmenter chaque jour.
L'image de la folie et des secrets dominent la lecture de cette première vision. Contraste s'il en est dans cette perception avec la narration via des lettres de Stevens Brown, jeune homme qui revient en son village en 1936 après l'avoir fui.
Le pays est vivant, et même si l'auteur de ces missives le détestent pour des raisons personnelles il ne peut empêcher de nous en donner une vision d'ensemble.
Là-aussi le personnage quoique semblant frustre, nous intrigue et nous met sur une seconde piste, même si tous les éléments ne sont pas encore là. C'est une vision plus intimiste d'une famille qui nous est donnée à lire, mais tout aussi glaçante par bien des aspects lorsque l'on voit le traitement infligé à son jeune frère : Perceval, "l'idiot du village" qui nous donnera quelques vues personnelles après celles de Nora Atkins, une des jeunes fille morte cet été là.
Ambiguité... Comme dans une enquête policière, Anne Hébert nous donne progressivement quelques éléments mais sait avant tout rendre une atmosphère, un personnage en le faisant narrer sa part de vérité, son histoire. A chacun, elle donne vie par un style propre : pompeux, religieux, parfois violent et surtout amer tel est le récit du Révérend alors que celui de Perceval est en phrases courtes à l'image des idées qui jaillissent de son cerveau, des cris qui accompagnent son chemin. etc...
L'ensemble donne vie au récit tout en suscitant un certain sentiment d'oppression. Aurons-nous un jour le fin mot de cette histoire. Tous coupables ? Ou un seul l'est-il vraiment ? Même si l'on croit deviner les faits, on attend au détour de ces récits, la vérité. Anne Hébert savait jouer avec les mots et je comprends le succès qu'elle a pu rencontrer tant elle sait faire vivre personnages et univers.