Le héron de Guernica / Antoine Choplin. Rouergue (La Brune), 2011. 159 pages. 5*
Avril 1937, Guernica.
Quand il ne donne pas un coup de main à la ferme du vieux Julian, Basilio passe son temps à peindre des hérons cendrés dans les marais, près du pont de la Renteria. Ce matin du 26, alors que nombre d’habitants ont déjà fuit la ville dans la crainte de l’arrivée des Nationalistes, le jeune homme rejoint son poste d’observation au bord de l’eau. Amoureux d’une jeune ouvrière de la confiserie, il veut lui peindre un héron de la plus belle élégance, lui prouver sa virtuosité et son adresse de coloriste, alors que, déjà, les premiers bombardiers allemands sillonnent le ciel.
Ce n’est pas que Basilio se sente extérieur au conflit, il a même tenté de s’enrôler chez les Républicains, mais on n’a pas voulu de lui. En ville, on dit de lui qu’il a un sacré coup de pinceau. Mais qui peut comprendre sa fascination pour ces oiseaux, l’énigme de leur regard, leur élégance hiératique, mais aussi leur vulnérabilité ? Peintre naïf, peut-être que ce Basilio, mais surtout artiste qui interroge la question de la représentation.
Comment faire pour rendre par le pinceau la vie qui s’exprime dans le frémissement des plumes ? Questionnement peut-être plus essentiel encore dans ces temps de cruauté. Car sitôt les premières bombes incendiaires tombées sur Guernica, Basilio rejoint la ville pour voir, de ses propres yeux, l’horreur à l’oeuvre. Avec l’aide d’Eusebio, son ami prêtre, il photographie les avions allemands, pour témoigner de ce massacre.
Mais comment rendre la vérité de ce qu’ils sont en train de vivre, ceux de Guernica, dans ce cadre limité de la plaque photo ? « Ce qui se voit ne compte pas plus que ce qui est invisible » dit-il.
C'est à la naissance d'une véritable toile que nous permet d'assister Antoine Choplin.
Bien que voici plus d'un mois que j'ai dévoré ce livre, je me souviens d'avoir été littéralement bercée par ses coups de crayons évoqués au fil d'une histoire à la fois légère par l'existence de l'homme / le peintre dont il narre le quotidien et la gravité alors que nous sommes à l'aube des bombardements de Guernica - que tout un chacun connait grâce à la toile de Picasso évoquée parallèlement dans cet ouvrage -.
Hommage à la ville de Guernica, à un peintre hors du commun mais homme simple qui vit sa passion de la peinture de la même manière qu'il gère son quotidien : heureux de ce qu'il a, de qu'il voit, son seul regret est de ne pas avoir été retenu dans la troupe de Guernica, mais si cela le peine, il poursuit son chemin, vivant l'instant présent, heureux d'avoir obtenu la juste récompense de son travail, d'aller danser avec la jeune femme qui l'attire, de discuter avec son oncle un peu acariatre au premier abord mais dont le fonds semble bien loin de cela. Alors oui, certains ne verront dans ce texte que des banalités, mais pour pour moi il fut la musicalité même, un quotidien attachant. Homme(s) et ville vont se trouver bouleverser par les décisions militaires de bombarder cette ville.
Basilio est le témoin de tout cela, comme le sont les photographies qu'il prend ou que prend le curé, comme l'est sa peinture du héron, témoin de ce qu'il a saisi de la souffrance ce jour là, de ce qu'il a vécu et perdu.
Alors la rencontre entre le témoin et le peintre reconnu aura-t-elle lieu, vous demandez-vous ?
Cette rencontre jouera-t-elle un rôle dans un repenti de Picasso, par exemple, après avoir écouté la vision de Basilio ? Et oui, les questions se sont bousculées dans ma tête, mais la chute simple et à l'image de ce que l'auteur a donné dans ce magnifique roman. Elle fut pour moi suffisante.
C'est pour moi, un très grand coup de coeur de cette rentrée littéraire et je suis navrée de ne pas avoir lu au travers des média que je suis, de critiques à son égard. Sans doute n'ai je pas lu les bonnes feuilles... du moins j'ose l'espérer.
Dédale pour Biblioblog, un avis totalement opposé ici.