La dernière fugitive / Tracy Chevalier. Traduit de l'anglais par Anouk Neuhoff. Quai Voltaire, 2013. 373 pages. 4*
Quand Honor Bright se décide à franchir l'Atlantique pour accompagner, au coeur de l'Ohio, sa soeur promise à un Anglais fraîchement émigré, elle pense pouvoir recréer auprès d'une nouvelle communauté le calme de son existence de jeune quaker : broderie, prière, silence. Mais l'Amérique de 1850 est aussi périlleuse qu'enchanteresse ; rien dans cette terre ne résonne pour elle d'un écho familier. Sa soeur emportée par la fièvre jaune à peine le pied posé sur le sol américain, Honor se retrouve seule sur les routes accidentées du Nouveau Monde.
Très vite, elle fait la connaissance de personnages hauts en couleur. Parmi eux, Donovan, "chasseur d'esclaves", homme brutal et sans scrupules qui, pourtant, ébranle les plus profonds de ses sentiments. Mais Honor se méfie des voies divergentes. En épousant un jeune fermier quaker, elle croit avoir fait un choix raisonnable. Jusqu'au jour où elle découvre l'existence d'un "chemin de fer clandestin", réseau de routes secrètes tracées par les esclaves pour rejoindre les terres libres du Canada.
Portrait intime de l'éclosion d'une jeune femme, témoignage précieux sur les habitudes de deux communautés méconnues - les quakers et les esclaves en fuite -.
Voici un petit moment que j'avais abandonné Tracy Chevalier car j'avais la sensation qu'elle surfait sur son succès passé. Mais ce roman m'a fait de l'oeil et j'ai retrouvé avec bonheur la plume de "La jeune fille à la perle" sur un sujet connu des européens : le chemin de fer des clandestins, mais dans une moindre mesure pour nous qui ne l'avons pas vécu.
Tracy Chevalier sait habilement lier le thème de l'émigration volontaire des européens, leurs difficultés d'adaptation à cette terre "libre" et si vaste au fléau de l'esclavage. Alors oui, certains pourront voir certaines facilités bien pensantes, notamment lorsque la jeune héroïne propose la solution soufflée par d'autres : le retour au pays pour ces noirs, retour à leur mère patrie mais comme lui répond cette femme de tête qui fera le lien vers son évolution et sera d'une aide précieuse quant à ses décisions futures, le pays qui la fut naître est, et reste, les Etats-Unis. Contrairement à elle qui pourrait reprendre le bateau et rejoindre sa famille restée en Angleterre, les esclaves, en dépit de leur absence de droits, sont des américains.
Après la peinture, ce sont les travaux d'aiguille : le patchwork (les quilts) qui tient une place importante dans cette histoire. Oui, cela pourrait être anecdotique, comme bien des aspects ou situations du roman, mais mis bout à bout : la candeur de l'héroïne, sa découverte de son nouveau pays, les différents sentiments qu'elle se voit devoir affronter et comprendre seule sont à l'image de ces petits bouts de tissus qu'elle sait si patiemment assembler. Si cette vision peut paraître réductrice, il vous faut savoir que même si Honor maîtrise son sujet lorsqu'il s'agit du quilt, en matière de sentiments, de compréhension de la nature humaine, tout reste à faire. Et son monde quaker ne peut pas vraiment l'aider à l'appréhender. C'est au-delà, en franchissant les interdits religieux, comme ses propres peurs qu'elle va commencer à comprendre la vie et parvenir à appréhender son pays d'adoption et sa culture.