Frankie Addams / Carson McCullers. Roman traduit par Jacques Tournier. Le Livre de Poche, 2008. 223 pages
. " Cher papa, C'est une lettre d'adieu, en attendant que je t'écrive d'un autre endroit.
Je t'avais prévenu que je quitterais cette ville parce que je ne pouvais pas faire autrement. Je ne peux pas supporter plus longtemps cette existence, parce que la vie est devenue pour moi un fardeau. J'ai pris le revolver parce qu'on ne sait jamais, mais je peux en avoir besoin, et je te renverrai l'argent à la première occasion. Dis à Bérénice qu'elle ne s'inquiète pas. Tout est venu de l'ironie du sort, et ça ne pouvait pas être autrement.
Je t'écrirai plus tard. Papa, je t'en prie, n'essaie pas de me rattraper. Bien à toi. Frances Addams. " Six ans après Le cœur est un chasseur solitaire, qu'elle a publié à 22 ans en 1940 et qui l'a rendue célèbre, Carson McCullers (1917-1967) écrit Frankie Addams, son deuxième chefs-d'œuvre, avec toujours cette question lancinante chez la grande romancière américaine du sud des Etats-Unis : pourquoi est-il si difficile de passer de l'enfance à l'âge adulte, si compliqué aussi de conclure la paix avec soi-même ?
Par certains côtés, l'impression de replonger dans "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" : la chaleur, la gouvernante noire, la mère décédée, un père beaucoup plus absent, qui semble même quasi inexistant et cette enfant, pré-adolescente : Frankie. Pré-ado qui s'ignore et qui ne sait pas que les quelques semaines durant laquelle nous allons la suivre, sa vie va basculer. Non pas vers le danger qu'elle semble attirer de par son inexpérience, sa volonté d'être considérée comme quelqu'un d'autre, mais simplement le temps qui passe et qui l'entraîne vers l'âge adulte. Elle n'en est pas consciente et en dépit de son comportement, même la cuisinière noire, Bérénice, au fait de l'existence et de sa petite Frankie ne parvient pas à le percevoir.
Pourtant la révolte gronde, et si le lecteur n'assiste pas en direct à toutes ses rebellions, Frankie se charge de lui narrer ses tentatives de résistance aux adultes, à ce monde étroit qui l'étouffe, qui ne la comprend pas. Et d'ailleurs qui peut la comprendre ? Un père accaparé par son travail, peu au fait de la sensibilité féminine et certainement pas plus des adolescents, qui, de but en blanc la repousse, elle et ses grandes cannes, prenant conscience que sa fille n'est plus une enfant et doit désormais dormir seule. Son frère qui ne la connaît guère plus du fait de son absence et qui lui offre une poupée, inconscient que la petite fille qu'il a laissé n'est plus.
Une adolescente qui se cherche, modifie son prénom afin de trouver / montrer sa nouvelle personnalité, cherche à bousculer son existence de par des projets de futur : partir avec son frère et sa nouvelle épousée, les accompagner dans leur voyage de noce. On sait dès le début que cet objectif est voué à l'échec mais elle s'obstine jusqu'au jour du mariage ou le drame de l'échec se noue. Les conséquences et tout ce qui va en découler sont bien loin de tout ce qu'elle avait pu imaginer mais aussi de ce que nous aurions pu imaginer de notre côté.
Carson McCullers ne s'arrête pas là ; elle a montré qu'elle savait décrire avec une grande intelligence ce mal être, le comportement de ceux qui entourent Frankie - Ceux déjà cités, mais aussi son petit cousin qui ne comprend pas pourquoi sa cousine ne veut plus jouer avec lui - . Via l'événement brutal qu'elle fait apparaître en toute fin de volume, elle semble tourner les pages de cet été et nous présente en guise de conclusion, une nouvelle tranche de la vie de Frankie qui a franchit une première étape mais n'est pas encore parvenue au bout du chemin.
Force, sensibilité se dégage de ce roman et je suis restée jusqu'au bout aux abois de ce qui pouvait advenir à cette enfant trop vite montée en graine.
Lu en partenariat avec Le Livre de Poche