Ce que le jour doit à la nuit / Yasmina Khadra. Julliard, 2008. 413 pages
« Mon oncle me disait ; « Si une femme t'aimait, et si tu avais la présence d'esprit de mesurer l'étendue de ce privilège, aucune divinité ne t'arriverait à la cheville. »
Oran retenait son souffle en ce printemps 1962. La guerre engageait ses dernières folies. Je cherchais Emilie. J'avais peur pour elle. J'avais besoin d elle. Je l'aimais et je revenais le lui prouver. Je me sentais en mesure de braver les ouragans, les tonnerres, l'ensemble des anathèmes et les misères du monde entier. »
Yasmina Khadra nous offre ici un grand roman de l'Algérie coloniale (entre 1936 et 1962) - une Algérie torrentielle, passionnée et douloureuse - et éclaire d'un nouveau jour, dans une langue splendide et avec la générosité qu'on lui connaît, la dislocation atroce de deux communautés amoureuses d'un même pays.
Lorsque ce livre me fut prêté, il me semblait avoir un vague souvenir d'une critique positive et émue d'Amanda. Je ne me suis pas posée de questions, ne suis pas allée sur le net et l'ai simplement ouvert un soir avant d'éteindre la lumière... Aaaahhh ce premier chapitre ! Magnifique ! Une écriture belle et limpide. Tout était évident sous la plume de de Yasmina Khadra, et déjà je partais avec lui dans cette "campagne" d'Oran, découvrant pour la première fois le quotidien de Younes et de sa famille. Féérie et lutte pour le quotidien se partageaient la place alors que les événements à l'origine de ce roman se mettaient en place progressivement.
Nous sommes dans les années 30, et au travers du regard de ce jeune garçon algérien, nous allons découvrir le quotidien de ces paysans chassés de leurs terres par la misère qui basculent dans la ville d'Oran. Mais cette ville n'est que la première étape de son apprentissage, de son histoire intimement liée à l'Histoire de l'Algérie, car grâce à lui nous allons suivre les "événements". Younès rebaptisé Jonas va intégrer des écoles françaises, cotoyer la jeunesse pied-noire et essayer de comprendre où se trouve sa place, à l'image de cette Algérie torturée entre deux communautés qui aiment ce pays mais dont l'état d'esprit est si différent.
Yasmina Khadra sait metttre dans la bouche de son héros une vérité que l'on peut retrouver aujourd'hui dans la bouche de beaucoup : leur place.
" Fabrice referma le livre qu'il était en train de lire et me fixa avec sévérité.
- Tu aurais dû lui clouer le bec, Jonas.
- A quel sujet, fis-je dégoûté.
- Des Arabes. j'ai trouvé ses propos inadmissibles et je m'attendais à ce que tu le remettes à sa place.
- Il y est déjà, Fabrice. C'est moi qui ignore où est la mienne."
Partagé entre sa culture, sa religion, le respect qu'il éprouve envers son oncle marié à une française catholique et ses amis juifs, d'origine espagnole etc., Younes / Jonas fait le gros dos, tente de trouver sa place simplement, de conquérir son espace grâce à ses expériences négatives, à son passé, il apprend, mais il cherche simplement, avant tout à exister pour ce qu'il est.
J'ai un peu perdu la plume captivante de l'auteur dans ce (trop?) long chapitre consacré à Emilie, chapitre qui, pourtant, une nouvelle fois nous éclaire beaucoup.
J'ai eu plaisir à retrouver cette flamme dans la dernière partie qui voit cet homme au soir de sa vie, retrouver son passé. C'est fort émue que je l'ai refermé.
Parce-que cette chanson s'est mise à me trotter dans la tête :